Vidéo surveillance en Ariège

En décembre 2018, nous avons interrogé la préfecture sur le fonctionnement de la commission départementale de la vidéoprotection.

C’est cette commission qui autorise la mise en place des systèmes de vidéosurveillance dans l’espace publique.

La préfecture nous a répondu en mars 2019, en nous communiquant les procès verbaux des réunions.

Comme dans l’ensemble de la France, nous ne pouvons que constater que les autorisations des systèmes de vidéosurveillance se font la plupart du temps de façon « express » par les commissions départementales de la vidéoprotection, et ce malgré le fait que « la décision d’autoriser l’implantation d’un tel dispositif doit résulter d’une appréciation de la proportionnalité entre la réduction de l’insécurité et l’augmentation du risque d’atteinte à la vie privée résultant de chaque dispositif ». Dans les faits, la commission se borne à vérifier que les engagements écrits sont conformes à la réglementation, et ne consacre qu’à peine 1 minute par dossier.

De fait, s’il semble y avoir un contrôle effectué au moment de la demande d’autorisation, aucun autre contrôle ne semble être fait par la suite.

Les procès verbaux des réunions depuis 2016 nous indique qu’en Ariège, 461 installations de
caméras ont été autorisées (nous n’avons pas fait le compte des caméras, mais il y en a au moins 5 par dossier donc surement au moins 2500). Par exemple à Foix, qui est pourtant une commune sans vidéo surveillance (sauf pour le centre aquatique et le parking de l’Arget), c’est depuis 2006 (sans les caméras du tunnel) 300 caméras à l’intérieur des locaux et 120 caméras à l’extérieur qui sont installées (dans des commerces essentiellement et au commissariat).

Nous voulions surtout nous intéresser, avant les élections municipales aux dispositifs installés par les communes. La préfecture nous avait indiqué que les 20 communes (Lavelanet, Luzenac, Mirepoix, Mazères, Pamiers, Saverdun, Tarascon-surAriège, Laroque d’Olmes, Saint jean du Falga, Saint-Girons, Le Fossat (piscine), La Tour du Crieu, Foix (parking Arget), Montbel (salle polyvalente), Aston, Capoulet-Junac (mairie-musée), Lézat sur Lèze, Vernajoul, Vicdessos, Ax-les-Thermes) et 3 communautés de communes (Pays de Foix (centre aquatique), Pays d’Olmes et Couserans Pyrénées) ont été autorisées à installer un système de vidéoprotection. La préfecture a oublié dans ce décompte Saint Jean de Verges que par conséquent nous n’avons pas contacté.

Nous avons envoyé en mail 2019 un questionnaire à l’ensemble de ces collectivités locales. Ce questionnaire est inspiré du Guide Méthodologique publié par le Comité de Pilotage Stratégique pour le développement de la vidéoprotection. Nous pensions donc que les réponses serait faciles à faire.

Le bilan est faible, manifestement nos élus ont du mal à défendre leur choix (et au passage en ne répondant pas à nos question contrevienne à l’article 13 du RGPD et l’article 104 de la loi « Informatique et Libertés ».). Les seules réponses que nous ayons eu sont :

– Couserans Pyrénées, mais uniquement sur les caméras de l’installation de luges à Guzet, pas sur les caméras sur la voie publique.

– Laroque d’Olmes qui le 24 mai 2019 demande un délai pour répondre.

– Ax-les-Thermes, mais comme leur dispositif date de janvier 2019, n’a pas encore d’évaluation.

– Mirepoix seul à répondu vraiment, mais ses réponses nous laissent dubitatifs quant à l’évaluation du système. À la question « Quels outils d’évaluation du système ont été mis en place ? » la réponse est « Des registres papiers » ! A la question « Si les évaluations existent, quels en sont les résultats ? » la réponse est « 8 extractions ont permis de faire avancer l’enquête voire la résoudre ». 8 pour un système en place depuis 3 ans !

Quant à Mazères, ils n’ont pas répondu à notre courrier, mais dans leur journal municipal, ils justifient l’ajout de 10 caméras (enregistrant les plaques d’immatriculation des véhicules) aux 7 existantes par le fait que les atteintes aux biens et aux personnes sont en augmentation (alors même qu’ils ont déjà 7 caméras) et par « la perte de repères chez certains jeunes » …

En Ariège, comme partout en France, rien ne prouve l’efficacité de ses dispositifs. Voici un graphique de l’évolution des faits constatés par la Police et la Gendarmerie sur ces dernières années :

On ne peut pas dire que l’effet de la multiplication des caméras soit vraiment visible en Ariège. D’ailleurs le rapport rédigé par la Cour Régionale des Comptes de Rhône-Alpes en mai 2010 est explicite : « (…) en l’état actuel des données, relier directement l’installation de la vidéosurveillance et la baisse de la délinquance est pour le moins hasardeux. Si l’on compare par exemple l’évolution de la DVP (délinquance de voie publique) entre Lyon, qui a fortement investi dans ce domaine, et Villeurbanne, où la commune n’a pas souhaité s’y engager, on observe que la baisse est plus forte dans la commune qui ne bénéficie d’aucune caméra de voie publique (…). Le dispositif de vidéosurveillance apparaît comme un outil dans l’action quotidienne de la police qui peut contribuer au maintien de la tranquillité publique. S’il peut alors apparaître réducteur de juger de la pertinence du dispositif au vu des seuls chiffres de la délinquance, on peut observer que l’outil est suffisamment coûteux (plus d’un million par an en moyenne depuis 2003, hors personnel et frais généraux liés au service) pour qu’une évaluation globale de son intérêt soit entreprise (…) ».

En fait, on fait payer aux communes des installations qui ne sont que des instruments de la Police Nationale et de la Gendarmerie.

Nous pouvons citer une des conclusions de la Thèse de doctorat de Guillaume GORMAND (« L’évaluation des politiques publiques de sécurité : résultats et enseignements de l’étude d’un programme de vidéosurveillance de la Ville de Montpellier » Thèse soutenue publiquement le 30 novembre 2017 à Grenoble) :

« Une remise en question de la vidéosurveillance par les communes françaises permettrait à ces dernières, en plus de substantielles économies, de s’affirmer dans la conception de la lutte contre l’insécurité et d’engager une orientation plus pragmatique et pérenne des politiques locales de prévention de la délinquance. »

Au niveau national :

la LDH :

– qui admet que des systèmes de vidéosurveillance limités et réfléchis puissent constituer des outils au service de la sécurité quotidienne, de la lutte contre la délinquance et la criminalité,rappelle et maintient sa franche opposition à la multiplication anarchique de ces systèmes qui sont attentatoires à la liberté fondamentale de circuler sans entrave ni surveillance, à la vie privée, et sont un outil de contrôle social,

– considère que présenter la vidéosurveillance comme un outil de prévention (hormis dans certains lieux fermés comme les parkings) ou pouvant être utilisé en flagrance (arrestation du délinquant pris sur le fait) constitue une politique dangereuse dans la mesure où elle induit des attentes des citoyens qui ne peuvent qu’être déçus ;

– constate et dénonce la carence de l’État concernant la communication d’informations sur ce sujet. Ce grave déficit d’information est à comparer à la volonté continue de multiplier ces instruments de vidéosurveillance, en remplacement de personnel de police ;

– déplore une telle position qui porte atteinte à la transparence que devrait manifester le ministère de l’Intérieur dans ce domaine, si ces choix étaient aussi légitimes et pertinents qu’il le prétend ;

– dénonce le fait que le législateur n’ait eu de cesse d’augmenter le périmètre soumis à surveillance, sans accorder dans le même temps aux citoyens des droits équivalents à l’augmentation du contrôle ;

– considère que les comités d’éthique ne sont qu’un leurre destiné à donner une illusion de fonctionnement démocratique à l’installation des systèmes de vidéosurveillance et réaffirme son opposition à toute participation.

La LDH demande que :

– la totalité des systèmes de vidéosurveillance soit, dans les plus brefs délais, placée sous le contrôle exclusif de la Cnil ;

– un fichier national des traitements et des caméras – chaque caméra étant individuellement identifiée avec indication de sa localisation – soit mis en place pour recueillir des informations sur toute nouvelle installation ;

– ce fichier des localisations soit public, et notamment accessible par Internet, afin que chaque citoyen puisse aisément s’assurer que la caméra qui le filme a été régulièrement installée et fait l’objet d’un contrôle légal ;

– soit interdit l’usage de drones et de logiciels permettant la reconnaissance faciale et l’analyse du comportement. Ces interdictions devront être pénalement sanctionnées de manière à ne pas permettre l’installation d’outils non seulement de surveillance mais de répression sur l’ensemble du territoire ;

– un audit parlementaire de la politique de multiplication des systèmes de vidéosurveillance permette d’évaluer le rapport coût/efficacité ainsi que les profits pour les lobbies militaro- industriels.

Le document au format pdf : http://ldh-midi-pyrenees.org/wp-content/2019/12/video-presse.pdf

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