Résister se conjugue au présent. Hommage à François Verdier, résistant.

Dimanche 31 janvier, en forêt de Bouconne, près de Toulouse.

Un discours de Catherine Lemorton, Députée de la Haute-garonne

Issu de la bonne bourgeoisie toulousaine, François Verdier qui dirige une entreprise de commerce de machines agricoles, est un dignitaire franc-maçon, secrétaire fédéral de la Ligue des droits de l’homme lorsque la guerre éclate, en 1939.

Dans les années 1940-1941, il a appartenu à plusieurs groupes toulousains dissidents avant de rejoindre Libération-Sud. Il prend alors le pseudonyme de Forain. Chef régional des MUR pour la région R4 (Toulouse), pressenti pour être commissaire de la République, il est arrêté par la Gestapo le 13 décembre 1943. Torturé, il semble qu’il ne parle pas. Son corps est retrouvé mutilé près de Toulouse en forêt de Bouconne.

Il était père de deux enfants.

Sa mémoire et celle de la Résistance sont commémorées le dimanche qui suit le 27 janvier en forêt de Bouconne (Commune de LasserreHaute-Garonne) sur le lieu où son corps martyrisé fut découvert. Plusieurs personnalités de la résistance ou de la vie civile y furent conviées pour des discours, parmi lesquels Jean Cassou, les historiens Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet1.

Discours d’hommage à la mémoire de Forain-François VERDIER

Forêt de Bouconne

Dimanche 31 Janvier 2010

Monsieur le Préfet de Région,

Monsieur le Président du Conseil Régional,

Monsieur le Président du Conseil Général,

Monsieur le Député-maire de Toulouse,

Mes Chères Collègues parlementaires,

Mesdames et Messieurs les élus,

Madame Françoise Verdier, fille de François Verdier

Monsieur Alain Verdier, petit fils de François Verdier,

Messieurs Yann et Mathieu Verdier, arrières petits-fils de François Verdier

Mesdames et Messieurs les représentants de l’Association du mémorial François Verdier Libération

Sud,

Chers Collégiens du Collège du Bois de la Barthe de Pibrac,

Monsieur Vincent Denis, principal du Collège,

Mesdames et Messieurs,

C’est avec un mélange de fierté, de gravité et, je dois l’avouer, d’anxiété, que je prends la parole devant vous aujourd’hui.

Dans cette forêt de Bouconne planent à la fois le souvenir d’un homme d’exception et la reconnaissance de nombreuses personnalités qui se sont succédées à ce pupitre pour évoquer sonparcours et sa mémoire.

C’est donc avec humilité et sous le prisme de ma sensibilité que j’évoquerai ce que « Forain » représente pour moi, en me refusant à me lancer dans une grande présentation historique ou personnelle, exercice ô combien périlleux et ô combien réussi par mes prédécesseurs…

Pour moi qui n’ai pas connu la Guerre, qui n’ai pas non plus connu la reconstruction, ce que représentent la vie et la mémoire de François Verdier ce sont deux symboles et trois enseignements.

Le premier de ces symboles, c’est l’assemblée que nous formons aujourd’hui.

Soixante-six années après la mort tragique d’un homme, nous sommes nombreux à nous retrouveren ces lieux pour nous rassembler autour de sa mémoire.

Bien que son destin et ses qualités soient hors-normes, qu’est-ce qui peut bien motiver des femmeset des hommes à se retrouver chaque année pour commémorer ce qui constitue également un exemple criant de ce que l’atrocité humaine peut produire de plus abject?

Ce qui nous pousse à nous retrouver, c’est la mémoire.

J’emploierai ici le terme de « besoin de mémoire », plus que de « devoir », afin de souligner le rapport quasi-existentiel que l’Homme doit entretenir avec son Histoire dans le but de mieux appréhender le présent et de bien préparer l’Avenir.

Aujourd’hui, en ce lieu, nous sommes donc rassemblés pour ne pas oublier.

Ne pas oublier mais également transmettre ce message aux générations futures.

Jeunes filles, jeunes gens du collège de Pibrac, citoyens en devenir, n’oubliez pas que l’Homme est complexe, qu’il est multiple, qu’il est capable d’alterner le Bien et le Mal avec une fréquence que l’entendement le plus aiguisé peinera toujours à comprendre…

N’oubliez pas que la sécurité relative de notre Monde occidental actuel a été précédée des plus abominables monstruosités.

Au fur et à mesure de la disparition inéluctable des derniers témoins de ces évènements – qu’il s’agisse de la Première ou de la Seconde Guerre Mondiale- il est important que des Femmes et desHommes qui croient en l’Humanité sensibilisent les générations futures à ce « besoin de mémoire »que j’évoquais, unique moyen pour assurer demain cette paix et cette raison qui, hier, nous ont tant fait défaut…

La présence active des élèves du Collège me semble être fondamentale.

Chers collégiens, chères collégiennes, c’est pour vous, et pas seulement pour nous, que ce type de cérémonie existe et doit continuer d’exister.

L’éloignement temporel avec des faits ne doit pas amoindrir votre conscience de l’horreur qu’ils ontpu représenter et ne doit pas vous empêcher d’en tirer tous les enseignements pour vous opposer à toutes les petites dérives humaines qui parfois s’additionnent pour, in fine, déboucher sur des abominations.

Le second symbole que m’évoque cette cérémonie, c’est cette étonnante facilité avec laquelle François Verdier a décidé et assumé ses choix, plus exactement ses « non-choix » tant il a semblé arpenter le chemin de son existence en suivant naturellement ce que son coeur et son âme lui dictaient…

Amoureux de sa région, amoureux de la Vie, jouisseur même pour certains, il va de la même  manière se découvrir amoureux de la Liberté, amoureux de la République, amoureux des Hommes.

Son engagement en cette direction semble véritablement couler de source…

Ligue des Droits de l’Homme, Parti Radical, Franc Maçonnerie, François Verdier ne semble pasnourrir une ambition particulière en réalisant ce parcours.

Il avance en Homme libre, en Homme debout qui ne fait qu’afficher ce en quoi il croit.

Ce parcours affiché sans souci du « qu’en dira-t-on » semble coller avec ce ver de René Char, grand résistant, immense poète et humaniste sincère : « Va vers ton risque, serre ton bonheur, impose tachance. A te regarder, ils s’habitueront ».

Il avance François Verdier, il croque la vie à pleines dents et affiche ses convictions sans se cacher.

Alors, quand le moment arrivera de défendre concrètement, physiquement, et, hélas,dramatiquement, ses idéaux, il ne tergiversera pas. Il agira.

Il le fera quand la République Espagnole sera menacée par Franco et ses sbires, il le fera quand sa République, la République Française, sera envahie par les nazis.

François Verdier, Forain, c’est l’archétype du héros qui ne veut pas faire de sa vie un roman.

C’est un Homme de son temps, de son âge, simple, libre je le disais.

C’est un Homme qui sait, lorsque ses fondamentaux sont attaqués, qu’il faut se lever pour dire « non » et qu’il faut tout tenter pour que les valeurs qu’il défend reprennent leur place.

Mais cet héroïsme naturel fut loin d’être la norme durant cette période.

D’une manière générale, la guerre est un portrait à gros traits de l’Humanité dans toute sa diversité ,dans toutes ses réactions, allant du vice à la vertu, de la lâcheté au courage. Pour autant, une question demeure.

Qu’est-ce qui détermine le positionnement des individus? D’où nait le courage? Où se cache la lâcheté? Certains facteurs vont-ils surdéterminer la réaction des uns ou des autres?

Avec François Verdier, les choses coulent d’elles-mêmes…

Pourquoi collaborer avec ceux qui veulent vous priver de la Liberté quand la Liberté est une valeur qui guide vos actes?

Pourquoi accepter de mettre fin à la République quand la République est pour vous un marqueur élémentaire de l’identité nationale?

Pourquoi accepter de laisser la part la plus sombre de l’Humanité l’emporter lorsque l’on défend les Lumières de la raison et de la Fraternité?

Mais pour un François Verdier, combien d’autres vont mettre de côté leurs convictions?

Combien d’autres, par crainte la plupart du temps, vont adopter une attitude attentiste?

Souvent, lorsque je me trouve dans une assemblée commémorant le courage d’une personne qui achoisi de résister, je m’interroge… « Combien d’entre nous, dans cette assemblée, auraient choisi le courage? Et combien la lâcheté? Combien auraient opté pour ne rien faire? Et pourquoi? »…

Le symbole « François Verdier », c’est donc le respect des convictions jusqu’au bout, parce que l’on ne peut chasser ce qui est constitutif de son « moi » le plus profond.

Pour conclure sur ce sujet et pour illustrer mon propos, j’évoquerai une interrogation qui m’est venue en pensant aux souffrances que Forain a du subir.

En tant que Franc-maçon, en tant qu’Humaniste, quelle vision a-t-il eu de ses bourreaux, quelles déceptions ont pu lui traverser l’esprit lorsqu’il a été confronté pendant de longues semaines à cette barbarie ?

A-t-il abandonné son Amour de l’Humanité ?

Pour moi, sa fin tragique est une réponse.

Il n’a rien lâché. Jusqu’au bout, il n’aura renoncé à rien.

Son refus de dénoncer, de trahir prouve qu’il aura cru que ses valeurs étaient plus fortes que ce qu’on lui infligeait.

Jusqu’au bout, il aura accordé plus de poids au bien Humain qu’au mal Humain.

Jusqu’au bout, il aura prouvé que Liberté, République et Humanisme ne sont pas de vains mots.

Liberté, République, Humanisme, trois enseignements de François Verdier, trois valeurs qui ont guidé sa vie et doivent guider celles et ceux qui se reconnaissent en lui.

Premier enseignement, la lutte pour la Liberté.

La Liberté n’est pas qu’un bout de devise gravée sur le frontispice des institutions.

La Liberté, c’est un legs que nos ancêtres, à force de courage et de combat, nous ont transmis en la forme stable que nous connaissons aujourd’hui.

Pour autant, elle se doit d’être respectée et entretenue.

La construction européenne, ne l’oublions pas, a notamment été basée sur la capacité des nations qui s’étaient outrageusement combattues à s’entendre pour sortir collectivement de cette spirale infernale dans laquelle elles semblaient se complaire…

Or, cette liberté si chèrement acquise en Europe est loin d’être partagée dans le reste du Monde.

Alors, sans pousser outre mesure le droit d’ingérence qui peut rapidement verser dans le Choc des Civilisations, nous devons entendre le message de François Verdier et de ses compagnons pour toujours oeuvrer en faveur de la liberté quand celle-ci est attaquée.

Second enseignement, la défense de la République.

La République est là aussi une valeur qui se doit d’être étendue. Elle ne sera immuable que si nous prenons tous soin d’elle…

La paix n’empêche d’ailleurs pas celle-ci d’être attaquée et la vie politique et philosophique de François Verdier avant la guerre nous montre que c’est avec constance qu’il faut s’engager pour elle…

Le respect des piliers qui la composent, notamment la laïcité et l’école publique, doit se retrouver chez toutes celles et tous ceux qui croient en elle.

Comme la Liberté, la République semble aujourd’hui être devenue un acquis immuable dans notre pays. Bien sur.

Mais n’oublions jamais que cette République n’est qu’un compromis.

N’oublions jamais que la République a des ennemis qui, en son sein, préféreraient voir le communautarisme, l’individualisme, prendre le pas sur les valeurs qui sont aujourd’hui les siennes.

Ce consensus national pour poursuivre l’avancée de la France vers le progrès fut d’ailleurs scellé dans le programme du Conseil National de la Résistance.

Ce programme, testament politique et social de François Verdier et de ces compagnons a servi de base pour la reconstruction de notre pays.

Hélas, il semble parfois oublié par certains, et cet oubli a et aura des conséquences fortes sur l’avenir de notre société…

Évoquons enfin le troisième enseignement, la pratique de l’Humanisme...

De nos jours, tout le monde se dit « Humaniste », même les hommes qui ne maitrisent absolument pas ce que cette valeur implique comme engagement et comme volonté.

Cette notion, dans une période qui se révèle bien trouble pour les Idées et les convictions, est galvaudée.

L’Humanisme, François Verdier, par sa vie, par son destin tragique nous a pourtant bien éclairés sur le sujet.

Au travers de son parcours, on se rend compte que sa définition de l’Humanisme était sans aucune concession.

Être Humaniste, c’est avant tout être conscient d’une réalité consubstantielle à tous les Hommes, celle de la finitude de la vie.

La vie a une fin, c’est même ce qui la définit, et tous les humains ont conscience de celle-ci.

Pour les Humanistes, cette forme d’égalité devant la fin de la vie est primordiale, car elle implique de fait, pour chaque être humain, des questions qui deviennent obsédantes dès leur plus jeune âge :

« Pourquoi la mort? », « Pourquoi la souffrance? » et, par extension, « Pourquoi l’injustice? »,

« Quel sens à cette vie? », « Y-a-t-il un après? »…

Mais être Humaniste, Forain nous l’a bien montré, ce n’est pas pour autant tout accepter.

Être Humaniste, ce n’est pas rester béat devant la bêtise humaine…

Pour un Humaniste, respecter l’Humain, c’est refuser la bassesse, la petitesse, le mépris, la jalousie, la médiocrité, bref cette multitude de petits dégoûts qui souvent nous accompagnent au cours de l’existence.

Être Humaniste, c’est être tout le contraire.

Être Humaniste, c’est avant tout accepter de se regarder tel que l’on est et non pas tel que l’on s’imagine être.

C’est le fameux « Connais-toi toi-même » que fait dire Platon à Socrate.

Être Humaniste, c’est se dire que le chemin vers la rectitude, intellectuelle, morale, n’est pas chose aisée mais ne peut s’acquérir que par une démarche initiatique qui dure toute une existence.

Être Humaniste, c’est refuser que l’être humain, son Frère, ne sombre dans cette bassesse si facile mais hélas si confortable.

Être Humaniste, c’est à la fois être humble vis à vis de soi et ambitieux pour les autres.

Forain a toujours respecté cette définition. Il a travaillé sur lui-même. Il a appris à se connaître tel qu’il était, à connaître ses défauts, à connaître ses failles, à connaître ses limites.

Il a avancé.

Il a compris que la vie était là pour tailler ce morceau de pierre brute qu’est chaque être humain, afin de le polir, afin de le rendre meilleur.

Il a compris que tous les Hommes ne partageaient pas cette vision.

Il a compris qu’il devrait se battre pour espérer voir le Monde poursuivre son chemin vers une Humanité meilleure et plus éclairée.

Il a compris enfin qu’il y laisserait la vie mais que l’Humanisme continuerait de vivre grâce à son sacrifice et à celui de ces Frères d’armes et de conviction…

Nous devons tous nous en souvenir puisque lui s’est rappelé de chacun, pendant ces semaines de torture, pour n’en livrer aucun…

Il était un résistant, il est devenu un symbole.

Son combat s’est déroulé il y a soixante six ans, mais ses convictions, sa vision du Monde et même ses craintes demeurent toujours d’une criante actualité.

Aussi, je terminerai comme j’ai commencé, en me tournant vers vous les Citoyens de demain.

Gardez toujours une place dans votre coeur pour François Verdier, gardez toujours un peu de ce Forain si lointain pour nourrir vos indignations de demain.

Il vous guidera d’une manière saine et forte, comme il a pu guider mon esprit dès que j’ai eu l’occasion de rencontrer le sien.

Alors, Chers Collégiens, je terminerai mon propos en vous exhortant à croire en l’avenir, comme François Verdier a pu y croire…

Comme le disait Edmond Rostand, « C’est la nuit qu’il est beau de croire à la Lumière ».

Forain a cru à la Lumière. Il y a cru au coeur de la nuit, jusqu’à y sacrifier sa vie.

J’ai donc confiance, nous avons tous confiance, en vous pour que jamais la nuit ne revienne hanter l’Humanité.

C’est à vous d’écrire les pages de demain, il est donc temps pour moi de vous laisser la parole…

Je vous remercie.

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