Ce compte-rendu a été rédigé par le secrétaire-adjoint de la section LDH Martel-Haut Quercy. Avec sa propre subjectivité. Les ajouts les plus personnels sont signalés par les initiales JCB.
L’enregistrement WS310187.WMA (amateur) de la conférence est accessible (jusqu’à un mois après le dernier accès) à l’adresse http://dl.free.fr/lL2ppm99T avec le mot de passe figeac.
Dans une brève introduction, Catherine Faccarello présente la LDH et l’orateur : la LDH, de son origine avec l’affaire Dreyfus à ses interventions actuelles au service des droits des Hommes dans la cité, puis l’orateur, Pierre Dardot, professeur de philosophie à l’Université de Paris-Nanterre et auteur, en collaboration avec Christian Laval, sociologue, de nombreux ouvrages dont « Commun, essai sur la Révolution au XXIe siècle ».
Le commun, les communs ? Quel rapport entre ces deux termes, et quel rapport avec ce que nous tenons du droit romain, les choses communes (les res communis), qui comprenaient l’air, l’eau courante, la mer et les rivages de la mer. Sans d’ailleurs que l’on sache trop pourquoi ces entités étaient seules comprises dans cette liste1. Leur point commun était qu’elles n’appartiennent à personne et qu’elles sont inappropriables, aussi bien par l’État que par des particuliers. Elles devaient être différenciées des res nullius (« choses de personne », nullius est le génitif de nullus = personne), des « choses » qui également n’appartiennent à personne mais que les citoyens peuvent s’approprier, comme le gibier. Dans le code de Justinien (527-565), ces « choses » étaient complétées par les biens privés, res privatae, et les biens d’État, res publicae.
Dans l’histoire de l’Europe, la question des communs revient en force, en particulier en Angleterre avec la Magna Carta, ou Charte (de l’année) 1215, un « grand » texte avec ses annexes qui entre autres définit le droit coutumier des forêts2, en particulier le droit de grainer, le droit de brindilles, etc sur des commons, qui ici désignent la forêt et ses ressources.
Puis, encore en Angleterre, à partir du XVIe siècle3, on assiste à une offensive en règle contre les commons, par une appropriation des terres par de grands propriétaires par le biais des enclosures, un ensemble de haies, murs, clôtures qui vont marquer la fin des droits d’usage. La population pauvre va devoir émigrer vers les villes et fournir la main d’oeuvre de l’industrialisation naissante. Un des débuts du capitalisme.
Le XIXe siècle va voir de nouvelles restrictions à l’usage des communs en Europe occidentale, par exemple en France sous Charles X, une loi qui qualifie de vol le ramassage des brindilles (tombées au sol).
La fin du XXe siècle par contre verra, vraisemblablement en réponse aux excès d’un capitalisme néolibéral débridé et au nom d’un droit coutumier ressorti de la mémoire collective, un retour en force dans divers pays des revendications d’un bon usage de communs, terres, services publics, etc… comme alternatives aux propriétés privées ou d’État.
Un moment fort fondateur a eu lieu en Amérique Latine en 2000 à Cochabamba4 qui « est devenue le symbole mondial de la résistance à l’appropriation des services publics de base par des entreprises multinationales, au détriment de droits humains élémentaires tels que le droit à l’eau ». Le point commun des batailles qui ont suivi a été la fondation des revendications sur une construction juridique solide et un appui sur les traditions locales.
Un autre domaine de lutte fait suite à l’introduction par l’OMC, en 1994, du concept de propriété intellectuelle issu de l’association de la propriété artistique et de la propriété industrielle. La porte était alors ouverte à la prise de brevet sur tout et n’importe quoi, y compris sur le vivant. L’écologiste indienne Vandana Shiva s’est illustrée dans les batailles menées contre l’accaparement de la Nature par les multinationales pharmaceutiques en particulier. Un exemple emblématique est le brevet que la multinationale américaine W. R. Grace et le Département américain de l’Agriculture voulaient prendre sur les graines de margousier (neem tree), un arbre de la forêt indienne (d’Inde), que les populations locales utilisaient depuis des générations pour leurs propriétés fongicides. Outre le scandale de voir Grace s’approprier ce savoir ancestral, et en tirer profit, le brevet aurait obligé ces communautés indigènes elles-même de rémunérer ces pirates pour continuer à user de ces graines. L’histoire finit bien puisqu’en 2000 le Bureau Européen des brevets a révoqué5 ce brevet. Une fois de plus, la victoire dans cette bataille est notamment due au concours de personnes extérieures à la communauté qui ont aidé à transcrire dans le Droit des valeurs issues de la tradition.
Depuis le début de ce XXIe siècle, nous observons donc une certaine conjonction de foyers de contestation et d’expérimentation de nouveaux communs, en particulier avec les « mouvements des places ». Ces rassemblements ont été spécialement vivants en Espagne où de nombreuses places ont été occupées par des centaines de milliers de personnes6 qui protestaient contre les plans d’austérité, contre les hommes politiques, pour les mal-logés, pour des communs urbains, en un mot, pour la démocratie. Un petit, mais significatif mouvement long de plusieurs années, printemps 1968 planétaire qui a touché les USA avec en particulier Occupy Wall Street, Tel Aviv contre le mal-logement, la France avec diverses « Nuit debout7 », la Turquie sur la place Taksim (à l’histoire mouvementée !).
Ces mouvements, qui sont souvent inspirés par une conception radicale8 de la démocratie, en se référant parfois à la Commune de Paris, ont connu également des développements remarquables en Italie, en partie grâce à la commission Rodotà9. Stefano Rodotà (1933-23 juin 2017) est un juriste et parlementaire italien qui a été chargé en 2007 de conduire une commission chargée d’étudier la question de l’introduction dans le droit italien d’une nouvelle catégorie juridique, les « biens communs ». Ces travaux conduisirent à une définition de ces biens communs comme « choses qui expriment une utilité fonctionnelle à l’exercice des droits fondamentaux ainsi qu’au libre développement de la personne » . La loi qui devait traduire ces conceptions dans le droit italien ne fut jamais adoptée, mais les travaux de la commission Rodotà jouèrent néanmoins un rôle important dans l’essor des initiatives autour des biens communs en Italie. On peut voir là une des raisons de l’échec cuisant subi en 2011 par Berlusconi, alors président du Conseil, dans le référendum promu par l’opposition pour s’opposer à la privatisation de l’eau : 95 % des 56 % de votants, soit 27 millions d’Italiens, ont manifesté leur désaccord. Les autres points rejetés ont été le retour au nucléaire et l’abolition de l’immunité pénale du Cavaliere.
Dans la foulée de ce référendum, la ville de Naples a procédé à une remunicipalisation de la gestion de l’eau non par une décision autoritaire d’en haut, mais après consultation non seulement d’experts mais aussi d’usagers, de militants divers, de représentants du forum des mouvements de l’eau ! Après l’introduction dans le Statut municipal de la notion juridique de bien commun, comme concept utile au développement de la personne et à la protection de ses droits fondamentaux.
Ce n’est qu’un exemple des mouvements qui se sont multipliés dans toute la péninsule10 à la suite de cette réactivation des communs. Ainsi, des centaines d’occupation sont lancées, de nombreux lieux désertés sont réhabilités11, avec toujours le souci d’une gestion démocratique, égalitaire, en bonne harmonie avec des juristes.
Autre exemple du vent qui parcourt le monde en ce début de XXIe siècle. À Montréal, « le Collectif 7 à nous s’est rapproprié un bâtiment industriel patrimonial, fragment de l’histoire populaire de Pointe-Saint-Charles, afin de le convertir en lieu de rassemblement alternatif accessible et bouillonnant de projets » https://www.arrondissement.com/montreal/7anous. Cette opération a quand même demandé onze années, mais le terrain conquis occupe 35 hectares.
La nouvelle maire de Barcelone Ada Colau12 a, depuis son élection en juin 2015 comme leader de Barcelona en comú (Barcelone en commun), inauguré des pratiques nouvelles, en particulier en faisant participer des assemblées de quartier à l’élaboration des décisions importantes dans les politiques publiques. Elle a également lancé une politique d’acquisition de terrains vagues ou désertés dont la gestion est confiée à des associations citoyennes. À charge de ces communautés de définir elles-même leur modèle de conduite des affaires, fondé sur démocratie et autonomie, et non pas imposé par « en-haut ». Cette gestion novatrice du public non étatique est étendue à d’autres cités, comme Saragosse, Valence, Saint Jacques de Compostelle,… et Madrid, avec lesquelles Barcelone constitue un ensemble de villes « rebelles » qui, aux municipales de mai 2015, ont été remportées par des coalitions proches de Podemos.
Vers la conclusion
Pourquoi Dardot et Laval ont-ils choisi de parler de commun au singulier ?
Ils ont constaté que de par le monde naît et se développe tout un ensemble d’expériences très diversifiées qui ont une base commune qui mériterait d’être élevée au rang d’un principe politique, le commun13. Ce principe est basé sur la notion d’usage, et non de propriété, et de démocratie, une démocratie qui permet la bonne gestion de cet usage, qui le fasse vivre et se perpétuer. Pierre Dardot et Christian Laval montrent pourquoi ce principe s’impose aujourd’hui comme le terme central de l’alternative politique pour le XXIe siècle : il noue la lutte anticapitaliste et l’écologie politique par la revendication des « communs » contre les nouvelles formes d’appropriation privée et étatique ; il articule les luttes pratiques aux recherches sur le gouvernement collectif des ressources naturelles ou informationnelles ; il désigne des formes démocratiques nouvelles qui ambitionnent de prendre la relève de la représentation politique et du monopole des partis.
Le commun se rattache non à l’essence des hommes ou à la nature des choses, mais à l’activité des hommes eux-mêmes : seule une pratique de mise en commun peut décider de ce qui est « commun », réserver certaines choses à l’usage commun, produire les règles capables d’obliger les hommes. En ce sens, le commun appelle selon Dardot et Laval à une nouvelle institution de la société par elle-même : une révolution.
S’ouvre maintenant le moment des questions réponses avec le public (vers 50 mn dans l’enregistrement). Le rédacteur n’a retenu que quelques points de ces échanges très riches.
Les sections de communes : « Ces biens sont des terres, issues d’anciens droits d’usage et de propriété datant de l’Ancien Régime, qui sont l’objet d’un usage collectif ou parfois privé par ceux qui habitent dessus, selon un régime juridique complexe. » Une loi du 27 mai 2013 modernise le régime de ces biens, en gros leur transfert aux communes.
Terre de liens : c’est un mouvement citoyen français qui vise à préserver les terres agricoles, à faciliter l’accès de jeunes paysans à la terre pour y développer une agriculture biologique et paysanne. La Foncière Terre de liens, société en commandite par actions, a, depuis sa création en 2006, acquis 142 fermes, sur 3 000 ha, louées à bas prix à 200 fermiers qui n’en ont que l’usage. L’épicentre de ce mouvement est le département de la Drôme.
Coopérative : l’auto désignation sous ce nom ne suffit pas à donner une nature sociale et solidaire à cet établissement. Demandez aux salariés… Une coopérative peut être le « paravent juridique d’un égoïsme collectif ». Illustration ci-dessous.
Mondragón : c’est une ville du pays basque espagnol dans laquelle a été fondée en 1941, à la suite des misères de la guerre d’Espagne, une société du même nom qui, en 2012, pesait 14 milliards d’euros en activités industrielle (l’électroménager Fagor par exemple), financière et de distribution. La principale caractéristique de ce groupe est qu’il est une véritable coopérative gérée selon les règles de l’économie sociale et solidaire (par exemple des parts égales, un membre-une voix dans les décisions majeures). On peut regretter que les remarquables avancées sociales que ce groupe a su mettre en place et conserver à Mondragón ne soient pas nécessairement étendues aux sociétés que cette coopérative, qui a très bien résisté à la crise de 2008-2009, a reprises (comme Brandt pour rester dans l’électroménager).
L’usine Vio.Me à Thessalonique : un rayon de soleil dans une Grèce matraquée par la troïka (alors que le port de Thessalonique est privatisé à 67 % au bénéfice d’un consortium germano-gréco-franco-chinois). Des ouvriers qui osent produire sans patron, et qui en plus s’inquiètent de l’environnement et des migrants. Voir par exemple des articles sur Mediapart sur ce bijou.
Les coudercs : une pâture communale à usage collectif utilisée autrefois par les sans-terre, étendue souvent aux équipements collectifs comme la place, le four à pain, etc. Dans l’est de la France, ces communaux pouvaient servir encore récemment de pâture collective pour un village14.
La ZAD de Notre Dame des Landes : la contestation initiée par les agriculteurs touchés par le projet a été rejointe par des militants extérieurs pour former un commun15.
La COP21 : cette conférence en principe de prévention contre les changements climatiques a bien parlé des communs à préserver, elle n’a hélas pas vu matière à différentier énergies fossiles et énergies renouvelables.
Votre astéroïde : la communauté internationale a longtemps considéré l’espace extra-atmosphérique grosso modo comme un commun16 mais, en 2015, avant Trump, les États Unis se sont dotés d’un cadre juridique autorisant les particuliers17 américains à exploiter les richesses, en particulier minérales18, des astéroïdes. Le Luxembourg a adopté une loi similaire en juillet 2017, tout en estimant cependant que ce ne va être très aisé.
Les exploitations minières : un tien valant mieux que deux tu l’auras, on constate actuellement une recrudescence dans les concessions minières, de l’Arctique au Brésil pour les plus médiatiques, sous la férule des bourses de Chicago et Toronto. Des méthodes de vrais sauvages au mépris bien souvent des populations autochtones et de la Nature, mais qui donnent lieu à des mobilisations populaires à grande échelle. Ces mouvements touchent des couches sociales très variées au service de la sauvegarde des communs menacés par un capitalisme sans foi ni loi.
1 Dans les années 2000, certains écologistes ont rajouté à cette liste, par exemple, les fonds marins.
2 En fait dans la charte associée, la Charter of the Forest de 1217, édictée par Henri III, qui est restée valide jusqu’en 1971. L’Howard Zinn anglais, l’ « historien rebelle » Edward Palmer Thompson (1924-1993), grand spécialiste de la classe ouvrière anglaise, a également écrit sur « la guerre des forêts » au XVIIIe siècle.
3 Avec Henri VIII (voir Anne Boleyn parmi six épouses, le schisme de l’Église d’Angleterre, etc)
4 Tous les ingrédients étaient là en 2000 : le dictateur Banzer, la multinationale américaine Bechtel , avide d’étendre son emprise et ses profits, et les institutions financières internationales avaient décidé de privatiser la régie de l’eau de la troisième ville de Bolivie. Après une lutte exemplaire des habitants, une mobilisation mondiale, un mort et des dizaines de blessés, la compagnie publique qui gérait l’eau a récupéré son bien. Petite cerise sur le gâteau, était même prévue une taxe sur l’eau de pluie récupérée !! Plus de détails et la suite sur le lien https://www.partagedeseaux.info/La-guerre-de-l-eau-a-Cochabamba.
5 L’Europe hélas n’est pas parfaite. Ainsi, le 14 avril 2016 ( le lendemain de l’approbation du glyphosate), le Parlement Européen a-t-il statué sur la « protection des secrets d’affaires contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites », une arme de destruction massive contre les lanceurs d’alerte… qu’il dit à terme vouloir protéger.
6 Des Indignados au mouvement 15-M (15 mai 2011) et à la naissance de Podemos.
7 Jusqu’à Saint Céré !
8 Par exemple ce slogan du mouvement 15-M « ils ne nous représentent pas parce que nous ne sommes pas représentables »
9 La suite de ce paragraphe est largement inspirée de http://www.les-communs-dabord.org/disparition-juriste-italien-stefano-rodota/
10 Qui ont échappé à beaucoup dans la France jacobine.
11 Comme le palais Asilo Filangieri à Naples qui est devenu un lieu de production et de diffusion de culture.
12 Âgée de 43 ans. Elle s’est beaucoup engagée dans sa vie, en particulier contre les guerres d’Irak des deux Bush, et, à la suite de la crise financière mondiale de 2007-2008, avec les victimes des prêts hypothécaires.
13 Un terme que le néolibéralisme n’a pas encore réussi à récupérer ou à étouffer.
14 À Villevieux (Jura), un tel espace sans clôture (enclosures) a pu servir pendant la dernière guerre mondiale de terrain d’atterrissage à des avions venus d’Angleterre pour « exfiltrer » Jean Moulin, les époux Aubrac, etc. Dans les années cinquante, les vaches du village amenées par un vacher paissaient en commun sur cet espace. JCB
15 Peut-être un jour un Christian Rouaud en tirera un nouveau « Tous au Larzac » JCB
16 Selon le traité de l’espace de 1966, celui-ci n’appartient à personne, c’est « un patrimoine commun de l’humanité » devant être utilisé à des fins pacifiques. Toutefois, en 2000, dans son Manifeste Rebuilding America’s Defenses, le think tank phare des néoconservateurs américains, le Project for the New American Century, considérait que le contrôle exclusif par les USA des « NEW “INTERNATIONAL COMMONS” OF SPACE AND “CYBERSPACE” » était indispensable au maintien de ce pays dans son rôle de désormais seule super-puissance mondiale (après la chute de l’URSS).JCB
17 Le traité de l’espace de 1966 s’appliquait aux États, il est ainsi détourné (mais était ce nécessaire ? JCB)
18 Tous ces éléments qui se raréfient sur Terre, du cuivre au tantale, et ces terres rares détenues à 90 % par la Chine si indispensables aux éoliennes, voitures électriques, etc. JCB