Un membre de la section a organisé du 24 au 27 avril dernier une exposition de « caricatures et dessins de presse de 1848 à nos jours » au palais de la Raymondie de Martel, un réponse aux évènements de janvier dernier. Plus de 80 originaux : une expo digne d’une préfecture de région (elle sera déjà à Decazeville à la rentrée) et une conférence de Laurent Wirth (voir Google) sur la liberté de la presse dans notre pays : le texte qui suit est la mémoire de cette revue magistrale.
jc
Il est indispensable de remonter à la Révolution de 1789 pour bien situer le fondement de cette liberté.
Une liberté à laquelle les Français sont très attachés, comme l’a montré la marée humaine qui a déferlé dans les rues de Paris mais aussi les foules qui ont défilé dans les villes de toutes les régions au cri de « je suis Charlie »…
Cet attachement se comprend d’autant plus que la conquête de cette liberté fut longue et difficile.
C’est l’histoire de cette conquête que je vais vous présenter, de la Révolution jusqu’à nos jours tant il est vrai que la défense de cette liberté publique, aujourd’hui dramatiquement mise en cause par les assassins de Charlie Hebdo, est toujours d’actualité.
I La Révolution de 1789 et les fondements de la liberté de la presse en France
Sous l’Ancien Régime, la presse vivait sous le règne de la censure. Toute publication était subordonnée à l’obtention d’une autorisation accordée par l’autorité royale (le bureau de la Librairie). Tout commentaire politique était interdit.
Lorsqu’en 1788 les Etats Généraux furent convoqués pour réformer les finances, un arrêt du Conseil d’Etat appela l’opinion à faire connaître ses propositions. Outre les fameux cahiers de doléances, les brochures se multiplièrent. Plusieurs d’entre elles réclamèrent la liberté de la presse et l’abolition de la censure. Le pouvoir royal tenta de réagir : le 6 mai, lendemain de l’ouverture des États Généraux, un arrêt du Conseil d’État interdit « tout prospectus, journal ou autre feuille périodique sans permission expresse ». Le 19 mai, une circulaire du directeur de la Librairie interdit tout compte-rendu des Etats généraux sans accord préalable de la censure. En vain… Ces tentatives de réaction n’arrêtèrent pas le processus d’effondrement du système de contrôle de la presse.
La proclamation de la liberté de la presse repose sur l’article XI de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) votée le 26 août 1789 par l’Assemblée nationale constituante :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
J’attire votre attention sur la fin de cet article qui proclame cette liberté tout en la restreignant : elle doit être encadrée par la loi.
La comparaison avec le premier amendement de la constitution américaine de 1791 est frappante : il précise que « le Congrès ne fera aucune loi restreignant la liberté de parole ou de presse ».
Cela permet de comparer une conception française de cette liberté à une conception anglo-saxonne :
- – Dans la conception française, notamment inspirée par le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, l’individu-citoyen n’existe que comme partie d’un tout et la presse doit être subordonnée à la volonté générale.
- – Dans la conception anglo-saxonne, inspirée par Thomas Hobbes (1588-1679), John Milton (1606-1674) et John Locke (1638-1704) la liberté individuelle se construit contre un pouvoir jugé potentiellement despotique (le Léviathan de Hobbes 1651). La défiance à l’égard du pouvoir justifie que l’on dresse face à lui des remparts. Parmi eux la liberté d’expression est en première place.
C’est pourquoi les pères fondateurs américains ont érigé la presse en 4e pouvoir, au nom de la liberté individuelle, tandis que les révolutionnaires français ont limité la liberté de la presse au nom de la « volonté générale ». Liberté au-dessus de la loi dans un cas, liberté encadrée par la loi dans l’autre.
De fait, la loi Thouret du 22 août 1791 institue une série de limites à ce droit et prévoit un certain nombre de délits de presse : provocation à la désobéissance aux lois, à la résistance aux pouvoirs publics, calomnie contre les fonctionnaires publics, calomnie contre les personnes privées… Mais cette loi était trop imprécise pour être vraiment appliquée. La presse vécut dans une liberté presque totale jusqu’en 1792. Une incroyable floraison de titres : plus de 500, dont L’Ami du Peuple de Marat, Le père Duchesne de Hébert, L’ami du Roi de l’abbé Royou, Les Actes des Apôtres de Rivarol…
Mais, paradoxalement, cette période de liberté va prendre fin avec la République.
II La fin d’une illusion (1792-1814)
Cette période de liberté presque totale s’achève en effet après le 10 août 1792 et la chute de la monarchie. Le 12 août, un arrêté du Conseil général de la Commune y met fin : « les empoisonneurs de l’opinion publique, tels que les auteurs de divers journaux contre-révolutionnaires, seront arrêtés et leurs presses, caractères et instruments seront distribués entre les imprimeurs patriotes ».
C’est déjà la logique de la terreur qu’exprimera Saint Just, « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». La loi Lamarque du 29 mars 1793 prévoit que « tout journaliste ou auteur favorable au retour de la royauté ou à la dissolution de la Convention nationale sera traduit devant le tribunal révolutionnaire et puni de mort ». Elle est aggravée par la loi des suspects, du 17 septembre 1793, punissant de mort tous ceux qui « par leurs écrits se sont montrés partisans de la tyrannie, du fédéralisme et ennemis de la liberté ».
Cela permet d’éliminer la presse royaliste mais aussi girondine, et bientôt celle des « enragés » de Hébert puis des « indulgents » de Danton et C. Desmoulins, qui ont osé critiquer le comité de Salut public dominé par Robespierre. Élimination de la presse mais aussi des hommes qui passent à la guillotine…
Après l’élimination de Robespierre le 9 thermidor (le juillet 1794) et la fin de son « despotisme de la liberté », la Convention thermidorienne puis le Directoire, de 1794 à 1799, s’efforcent de maintenir un contrôle de la presse par des moyens administratifs et financiers, frappant tantôt la gauche néo jacobine, tantôt les royalistes (suspensions, suppressions, brimade financière du timbre fiscal). Avant même les débuts du Consulat en 1799 et de l’Empire en 1804, la presse est largement contrôlée par l’administration.
Pour Napoléon la presse n’est qu’un moyen de gouvernement et de propagande. Dès 1800 la plupart des journaux parisiens sont supprimés (Il n’en subsiste que 10 sur les 60 qui existaient en 1799 et ils ne seront plus que 4 étroitement surveillés par les censeurs en 1811).
La presse doit être au service de la propagande du régime. Napoléon écrit d’Italie en avril 1805 à Fouché son ministre de la police « dites aux rédacteurs que je ne les jugerai point sur le mal qu’ils auront dit, mais sur le bien qu’ils n’auront pas dit ». Certains journaux (Le Moniteur, les Bulletins de la Grande Armée) sont de véritables organes officiels de propagande impériale.
La liberté de la presse est à reconquérir et cette reconquête va être longue.
III Une marche longue et difficile vers la liberté (1814-1881)
De 1814 à 1881, 7 régimes se succèdent : première Restauration (avril 1814-mars 1815), cent jours (mars-juin 1815), seconde Restauration (juin 1815-juillet 1830), Monarchie de juillet (juillet 1830-février 1848), Seconde République (février 1848-décembre 1852), Second Empire (décembre 1852-septembre 1870) et Troisième République à partir du 4 septembre 1870.
Pendant ces 67 années, tous les régimes, monarchiques, mais aussi républicains, se sont efforcés de contrôler une presse en développement, une presse qui se bat pour reconquérir sa liberté. Un long combat marqué par des périodes autoritaires et des périodes plus libérales. Une longue marche, avec des avancées et des reculs.
La Restauration des rois Bourbon (Louis XVIII 1815-1824 puis Charles X 1824-1830), coupée par l’intermède plutôt libéral des Cent jours (suppression de l’autorisation préalable) a été presque constamment autoritaire en matière de presse sauf pendant deux moments plus libéraux :
- – en 1819-1820 avec la loi de Serre qui supprime l’autorisation préalable (elle sera rétablie en 1820 après l’assassinat du duc de Berry)
- – En 1828-1829 sous le ministère Martignac qui supprime de nouveau cette autorisation.
C’est en grande partie parce que le gouvernement Polignac veut la rétablir qu’éclate la Révolution des « Trois glorieuses » en juillet 1830. Le 26 juillet sont publiées des ordonnances pour museler la presse, dissoudre la chambre des députés à peine élue, organiser de nouvelles élections avec un suffrage censitaire encore plus restreint. Les journalistes, en particulier ceux du National fondé par Thiers, sont les fers de lance de la révolution qui va porter au pouvoir Louis Philippe d’Orléans.
La pratique autoritaire de la Restauration en matière de presse a joué aussi sur :
- – l’élargissement des délits de presse : une loi du 17 mars 1822 crée le délit d’outrage à la religion d’Etat et rétablit le délit d’opinion ;
- – la censure, dont cette loi prévoyait certes la suppression mais en précisant qu’elle pouvait être rétablie par simple ordonnance ;
- – le renvoi des procès de presse devant les tribunaux correctionnels plutôt que devant les jurys populaires jugés plus cléments ;
- – Les brimades financières : 1/ Le cautionnement instauré en 1819 par la loi de Serre en contrepartie de son orientation libérale (cf. supra la suppression de l’autorisation préalable) qui garantit le paiement des frais de justice et des amendes. 2/ Le timbre, dont la « loi de justice et d’Amour » de Villèle en 1827 prévoit une augmentation considérable et qui est repoussée par une conjonction de l’opposition libérale avec une partie de la droite monarchiste derrière Chateaubriand (« la presse, c’est la parole à l’état de la foudre »).
La Monarchie de Juillet est plus libérale. La nouvelle Charte prévoit que « la censure ne pourra jamais être rétablie ». L’autorisation préalable est remplacée par la déclaration préalable qui ne peut pas faire l’objet d’un refus. Les délits de presse sont définis de façon plus restrictive. Le régime a cependant pris prétexte de l’attentat raté de Fieschi contre le roi et ses fils pour faire passer des lois restrictives en septembre 1835 :
- – soumission à l’autorisation préalable des dessins et des caricatures (cf. la multiplication des caricatures : le roi-poire de Charles Philippon, repris par Honoré Daumier),
- – augmentation du cautionnement,
- – soustraction des délits de presse, considérés comme des « atteintes à la sûreté de l’Etat », au jury populaire. Le régime a multiplié les procès de presse pour épuiser financièrement les journaux condamnés à des amendes élevés.
La Seconde République a apporté, au début, une liberté absolue à la presse en février 1848 : suppression de toute forme de contrôle administratif, du timbre et du cautionnement, retour au jury d’assises pour tous les délits de presse. Mais la peur sociale provoquée par les journées de juin 1848 déclenche un retour des contraintes sous une République qui devient de plus en plus conservatrice :
- – rétablissement du cautionnement en juillet (« silence aux pauvres » Lamennais),
- – en août, définitions de nouveaux délits de presse (attaques contre l’Assemblée nationale, les institutions républicaines, la liberté des cultes, la propriété, la famille auquel s’ajoute en juillet 1849 celui d’offense au Président de la République).
- – rétablissement du timbre en juillet 1850.
Après le coup d’Etat du 2 décembre 1851, le Prince président Louis Napoléon Bonaparte, qui deviendra l’Empereur Napoléon III un an plus tard, établit sa dictature et la presse en fait immédiatement les frais : hécatombe parmi les journaux parisiens dont la plupart sont supprimés, augmentation du cautionnement et du timbre, retour des procès de presse devant les tribunaux correctionnels, rétablissement de l’autorisation préalable, obligation d’insérer des communiqués officiels, innovation du système des avertissements : au deuxième avertissement suspension pour 2 mois puis, si récidive, suppression du journal.
Une libéralisation sous l’Empire dans les années 60 : en 1867 60 nouveaux journaux sont autorisés et une loi de 1868 libère assez largement la presse : suppression de l’autorisation préalable, disparition des avertissements, abaissement du timbre.
Après la chute de l’Empire le 4 septembre 1870, sous le coup de la défaite face à la Prusse, le gouvernement de la défense nationale supprime totalement le timbre et le cautionnement et renvoie les procès de presse devant le jury populaire.
Mais avec l’Assemblée nationale monarchiste et conservatrice élue en février 1871, effrayée par la Commune de Paris qui va être écrasée pendant « la semaine sanglante » fin mai, c’est le retour à la contrainte : rétablissement du cautionnement et du timbre, possibilité pour les préfets d’interdire la vente de tel ou tel journal, maintien de l’état de siège jusqu’en 1875 qui permet à l’autorité militaire de supprimer des journaux.
Les institutions passent enfin aux mains des Républicains de 1876 à 1879 grâce à leurs victoires électorales successives. La presse va bénéficier de leur triomphe avec la loi de 1881.
IV La « réalisation » de la liberté de la presse : la loi du 29 juillet 1881
« Nous ne proclamons pas la liberté, nous faisons mieux, nous la réalisons ! ». Ces paroles d’Eugène Lisbonne, le rapporteur de la loi devant la chambre des députés montre bien la détermination de ses promoteurs à en faire une réalité.
La loi du 29 juillet 1881 est une des grandes lois républicaines organisant l’exercice de la démocratie en France (avec les lois scolaires de J. Ferry de 1881-1882, la loi sur la liberté de réunion de juin 1881 et celle reconnaissant les syndicats de 1884). Elle est encore aujourd’hui le cadre juridique de référence en matière de liberté de la presse.
C’est une loi libératrice sur plusieurs plans :
- – elle supprime les entraves préalables que sont le cautionnement et l’autorisation. Une simple déclaration suffit ;
- – elle supprime le délit d’outrage au régime et à la constitution. Seuls peuvent être poursuivies les provocations aux crimes et délits si elles sont suivis d’effet, l’incitation à la désobéissance des militaires, l’offense au Président de la République, l’offense à l’indépendance et à l’autorité de la justice ;
- – elle prévoit la protection des particuliers qui peuvent se retourner contre un journal qui les a diffamés tout en protégeant l’auteur de l’article : c’est le gérant du journal qui est le premier responsable ;
- – elle prévoit de déférer les crimes et délits de presse aux cours d’assises plutôt qu’aux tribunaux correctionnels réputés plus sévères.
Elle souffre de deux lacunes :
- – le « laisser dire » du libéralisme politique s’accompagne du « laisser faire » du libéralisme économique : si les législateurs de 1881 ont protégé la presse de toute menace administrative ou politique, ils ne sont pas préoccupés de la garantir contre les menaces économiques, la presse n’est pas libre face aux hommes d’affaires ;
- – elle ne reconnaît pas les journalistes en tant que professionnels de l’écriture de presse.
Elle a permis le développement d’une presse populaire souvent outrancière et polémique (cf. les excès de la presse antisémite au moment de l’Affaire Dreyfus).
Les tentatives des pouvoirs publics pour limiter cette liberté restent minimes à la fin du XIXe siècle :
- – en août 1882, afin de lutter contre les excès de la pornographie, une loi correctionnalise le délit d’atteinte aux bonnes mœurs ;
- – en 1893-1894, la République ayant connu une vague de terrorisme anarchiste (attentat de Vaillant à la chambre, assassinat du Président de la république Sadi Carnot par Caserio) prend ce que les anarchistes et des socialistes ont qualifié de « lois scélérates » qui pénalisent la propagande anarchiste mais qui ne furent guère utilisées après la fin de cette vague d’attentats.
Au XXe siècle, cette liberté est surtout mise à l’épreuve par les guerres
V La liberté de la presse à l’épreuve des guerres du XXe siècle
La liberté de la presse va être remise en cause pendant les deux guerres mondiales et les guerres de décolonisation.
Censure et propagande pendant la Grande Guerre
Le 2 août 1914, jour de la mobilisation générale, l’état de siège est proclamé, donnant aux autorités militaires un droit de suspension ou d’interdiction des journaux. Le lendemain, jour de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, est établie la censure militaire sur les imprimés. À Paris c’est un bureau de la presse du ministère de la guerre qui en est chargé. Il est constitué de 150 journalistes mobilisés. En province, les 21 régions militaires ont chacune leur commission de contrôle, coiffant plus de 300 commissions locales qui comptent en tout 5000 censeurs. Les consignes de censure sont données par le ministère de la guerre et le grand quartier général. Une loi du 5 août destinée à réprimer les indiscrétions de la presse en temps de guerre prévoit des sanctions qui vont de la saisie à la suspension puis à des poursuites des journalistes devant un conseil de guerre. La censure touche les articles et les illustrations. Elle est effectuée au crayon rouge sur la « morasse » (dernière épreuve sur le marbre). Les typographes doivent écraser les passages censurés. Cet « échoppage » se traduit par des blancs sur le journal.
On ne se contente pas de censurer. Assez vite l’armée s’est décidée à fournir elle-même de l’information. Son service d’information est mis en place dès octobre 1914 et donne trois communiqués militaires chaque jour. Ils peuvent servir de support à une propagande visant à maintenir le moral des soldats et de l’arrière, à stigmatiser l’infériorité morale des « boches » et à exalter l’héroïsme des poilus. Bien acceptées pendant les deux premières années de la guerre, la censure et la propagande le furent moins par la suite. Le « bourrage de crâne » est dénoncé par de rares journaux en butte aux tracasseries des censeurs, tel le « canard enchaîné » (5 numéros en 1915, il réapparaît en juillet 1916).
Dans l’entre-deux-guerres une partie de la presse fut éclaboussée par des scandales financiers et des campagnes outrancières, telle celle qui poussa le ministre Roger Salengro au suicide. Cela amena le Front Populaire à tenter de modifier la loi de 1881 afin de permettre à la presse d’échapper à l’emprise des grands intérêts financiers. Mais ce projet de mise en place d’un statut de l’entreprise de presse échoua devant l’opposition du Sénat en juin 1937. En revanche une loi de 1935 combla l’autre lacune de la loi de 1881 en créant un véritable statut du journaliste professionnel et en instituant la carte professionnelle de presse.
La presse subit le même sort pendant la Seconde Guerre mondiale que pendant la Première : censure et propagande, un sort encore aggravé par le drame de l’occupation.
A l’approche de la guerre le contrôle de la presse par le gouvernement se précise :
- – 20 mars 1939 : décret-loi sur la protection des secrets militaires ;
- – 21 avril : décret-loi sur le contrôle de l’importation des imprimés et décret-loi Marchandeau pour réprimer la propagande antisémite ;
- – Juillet : décret soumettant la radio à l’information d’Etat et mise en place d’un Commissariat général à l’information (sous la direction de Jean Giraudoux jusqu’en mars 40) ;
- – 24 août : décret-loi autorisant la saisie des journaux et leur suspension ;
- – 27 août : établissement de la censure.
Après la débâcle et l’armistice, la presse ne survit sous l’occupation que pour servir la propagande de l’occupant allemand et de Vichy. En zone occupée la Propaganda-Ableitung est chargée de veiller à la censure et à la propagande. Toute la presse est sous son contrôle. Elle dispose aussi d’un puissant moyen de pression : la répartition du papier qui lui permet d’agir également en zone sud. Dans cette zone, la presse est sous le contrôle total d’un secrétaire d’Etat à l’information du gouvernement de Vichy, poste dévolu d’abord à Paul Marion puis en janvier 1944 à Philippe Henriot. Pour diffuser sa propagande Vichy dispose aussi d’une agence de presse l’OFI (office français d’information), branche information nationalisée de l’agence Havas.
Après la libération, il s’agit de rénover et de purifier, dans l’esprit de la Résistance, une presse compromise avec l’occupant et Vichy. Des ordonnances de 1944 visent à épurer la presse de l’occupation, à empêcher la concentration des organes de presse et à fournir à une nouvelle presse les moyens matériels de son existence pour la soustraire au pouvoir de l’argent. C’est une logique dirigiste inscrite dans un courant général favorable à la planification. Marquée par une volonté de garantir son pluralisme, l’intervention de l’Etat en faveur de la presse revêt plusieurs formes : régulation du prix, de la pagination, importation et répartition du papier, aide à la distribution… Ce soutien a évidemment des incidences sur la liberté de la presse. Les risques que fait peser cet encadrement étatique sur celle-ci trouve une illustration dans le statut hybride de l’AFP qui remplace l’OFI. Une loi de 1957 lui garantit son indépendance rédactionnelle mais l’Etat la subventionne indirectement sous forme d’abonnements publics qui représentent 40% de son chiffre d’affaires.
La liberté de la presse à l’épreuve des guerres de décolonisation.
Les guerres d’Indochine et d’Algérie sont de nouveaux prétextes à une censure partielle, à laquelle on préfère cependant la saisie des journaux et les techniques d’encadrement des reporters dans les zones de combat.
La loi de 1881 autorise la saisie de 4 exemplaires d’un numéro pour constater un délit. En cas d’infraction pénale avérée, l’ensemble d’une édition peut être saisi par voie judiciaire. La saisie administrative en revanche n’est pas prévue par la loi, mais la jurisprudence a admis sa légalité en cas de menaces « graves ». C’est au nom de cette gravité que le gouvernement a fait saisir des journaux et des magazines. Pendant la guerre d’Algérie, les principaux titres visés : France-Observateur, l’Express, Témoignage-chrétien, Le Monde, L’Humanité… Les tracasseries administratives dont ils ont été victimes vont du retard plus ou moins long dans la parution à la saisie qui leur cause un préjudice financier considérable.
VI Des perspectives nouvelles à la fin du XXe siècle et au début du XXIe
Les enjeux de l’audiovisuel :
Le développement de la radio puis de la télévision modifie le périmètre d’exercice de la liberté de la presse et pose le problème d’un contrôle de l’information par l’Etat. Durant l’entre-deux-guerres, le monopole étatique de l’Etat sur la radio reste très incertain. Sous l’occupation, elle est totalement au service de la propagande des Allemands et de Vichy. Après la libération, les actualités radiophoniques puis télévisées deviennent un véritable service public de l’information et l’Etat, invoquant la rareté des fréquences, s’arroge le droit d’être le seul propriétaire des ondes et d’attribuer les autorisations d’émettre. Les radios périphériques contournent le monopole en émettant depuis l’étranger (Europe 1, RMC, RTL, radio Andorre…). Pour De Gaulle, de retour au pouvoir en 1958, ce monopole contrebalance la liberté de la presse écrite. L’ORTF doit incarner « la voix de la France » et les informations demeurent sous la tutelle du ministère de l’information. L’éclatement de l’ORTF en 1974 relâche le contrôle de l’Etat mais ne le fait pas disparaître et la mise en concurrence de 3 chaînes de télévision publiques correspond à une redéfinition giscardienne de la fonction du petit écran : il a plus vocation à distraire qu’à informer. Mais la pression en vue d’une libération des ondes se fait de plus en plus forte. La bataille des radios libres se précise à la fin des années 70 (exemple : le PS installe une radio pirate rue de Solferino en 1979). La gauche revenue au pouvoir avec l’élection de F. Mitterrand en 1981 choisit symboliquement de promulguer une loi libérant l’audiovisuel le 29 juillet 1982, date anniversaire de la loi du 29 juillet 1881. Elle met fin au monopole de l’Etat, les radios privées fleurissent et, après Canal + en 1984, les chaînes de télévision privées se multiplient. Cette libéralisation a cependant un revers : la « radio fric » et la « télé à paillettes ». On a assisté à un retour du contrôle de l’exécutif avec la loi du 5 mars 2009 qui prévoyait les nominations des présidents de Radio France et de France télévision par le chef de l’État, mais une loi du 15 novembre 2013 a rendu ces nominations au CSA.
Le tournant de 1984 : la garantie du pluralisme et du droit à l’information :
En 1984 le gouvernement Mauroy dépose un projet de loi visant à limiter la concentration des entreprises de presse. Il vise particulièrement le groupe Hersant qui a contourné l’ordonnance de 1944. Le Conseil Constitutionnel, saisi par l’opposition de droite, valide cette loi et constitutionnalise le droit du lecteur à l’information (la loi de 1881 se limitait à la liberté de publication). Cette jurisprudence du conseil est étendue aux auditeurs et aux téléspectateurs en 1986. C’est reconnaître la valeur supérieure du pluralisme de l’information nécessaire pour que les citoyens puissent être pleinement éclairés. Cela signifie aussi que les limites à la liberté de la presse, prévues par l’article XI de la DDHC, doivent elles-mêmes être limitées. Toute loi relative à la liberté de la presse doit aller dans un sens qui rendra cette liberté plus effective.
La convention européenne des droits de l’homme va dans le sens d’une garantie de ce droit :
Elle considère que le droit d’informer et d’être informé est primordial dans une démocratie et que toute restriction de ces droits doit être strictement limitée et encadrée. Ainsi l’article de la loi de 1881 qui interdisait la publication d’images relatives à un crime ou à un délit doit être abrogé par la loi Guigou de 2000 et la protection des sources journalistiques doit être reconnue par une loi de 2010 pour mise en conformité avec le droit européen.
Le respect des droits de la personne :
- – Le respect de la vie privée : loi du 17 juillet 1970 : « chacun a droit au respect de sa vie privée ». La presse n’a donc pas à dévoiler des informations qui en relèvent. Mais la frontière entre vie publique et privée peut faire débat lorsqu’il s’agit de personnes publiques (exemple, la santé du président peut concerner l’opinion si les capacités du Président sont amoindries). Problème aujourd’hui surtout de l’image : droit à l’image contre liberté de la presse. Cela incite les rédactions à « flouter » les images.
- – Le respect de la présomption d’innocence est proclamé par l’article 9 de la DDHC de 1789 « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable »… Mais problème du battage médiatique qui ne respecte pas toujours cette règle (exemple : l’affaire d’Outreau en 2004).
La liberté de la presse à l’heure d’Internet
Internet en démultipliant la liberté d’expression a fait évoluer les données de la question : à côté des sites des médias traditionnels, largement commentés par les lecteurs, se sont multipliés d’autres sites qui prétendent comme eux contribuer à l’information. Deux exemples :
- – Rue 89, créé en 2007 par d’anciens journalistes de Libération,
- – Mediapart, créé en 2008 et dirigé par Edwy Plenel ancien directeur de la rédaction du
Ils ne sont pas pour autant indépendants économiquement car ils sont accessibles gratuitement et dépendent donc des annonceurs (à l’exception de Mediapart accessible par abonnement).
Cette intrusion d’Internet dans le domaine de la presse pose des problèmes par rapport à la loi de 1881. Deux exemples illustrent ces problèmes nouveaux :
- – Comment appliquer une loi nationale à un support sans frontières ? Ainsi la loi Gayssot de 1990, devenue l’article 24 bis de la loi de 1881, pénalise la contestation des crimes contre l’humanité, mais de tels propos peuvent être émis sur des sites hébergés à l’étranger notamment aux Etats-Unis.
- – Problème de la prescription du délit de diffamation : l’article 65 de la loi de 1881 prévoit une prescription au bout de 3 mois de la diffusion au public, partant du principe que le message de presse est furtif. Or, avec le numérique, les articles publiés restent en ligne. Une jurisprudence de 1999, considérant que la publication numérique est continue, déclare le délit imprescriptible. C’est un problème pour la plupart des journaux qui mettent leurs archives en ligne.
La publication d’information sur Internet a amené à évoquer un « journalisme citoyen » rivalisant avec le journalisme classique. L’affaire Wikileaks en 2010 est une illustration de cette nouvelle donne. Ce site, édité par Julian Assange, permet aux internautes de dénoncer des scandales en y déposant anonymement des informations confidentielles (notamment sur la conduite de la guerre par les Américains en Irak). Mais Wikileaks ne fonctionne pas comme la presse classique puisque les informations déposées sur le site restent brutes. Les méthodes de Wikileaks posent également le problème de l’inscription de la liberté de la presse dans un cadre transnational, l’information étant désormais mondialisée.
Ainsi la question de la liberté de la presse est d’actualité non seulement parce qu’elle est remise en cause par les assassins de Charlie Hebdo mais aussi parce qu’elle est bouleversée par la mondialisation de l’information.
Cette histoire de la liberté de la presse en France se conclut sur une interrogation : comment penser aujourd’hui cette liberté à l’échelle mondiale ?