Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Nous sommes aujourd’hui devant ce monument aux morts non seulement comme le préconisait Lionel Jospin le 5 novembre 1998, pour réintégrer dans la mémoire collective les fusillés pour l’exemple français de la guerre de 14-18, mais aussi les volontaires étrangers engagés dans l’armée française également fusillés pour l’exemple, et surtout pour demander qu’enfin tous ces fusillés soient réhabilités.
Pour que l’on comprenne bien ce qui a pu se passer aux abords des tranchés de cette guerre monstrueuse qui a fait plusieurs millions de morts, je voudrais vous rapporter le témoignage du père de Paul Markidés, vice-président de l’ARAC.
Le père de Paul Markidés est né en 1890 à Chypre et il s’était engagé dans l’armée française au moment où éclate cette grande guerre de 14-18.
« Un jour, dit-il, des Alsaciens de notre compagnie sont tombés nez à nez avec des Allemands et ils ont commencé à se parler…Nous avons découvert que les soldats allemands étaient des hommes comme nous. Mais lorsque nous reçûmes l’ordre d’attaquer les Allemands, ça n’a pas été la même chanson. Toute la compagnie refusa de tirer. Alors ça n’a pas traîné, le commandement nous a relevés et emmenés en camions bâchés à l’arrière tout proche. Une fois descendus des camions, les officiers nous ont fait mettre en colonne par deux, nous regarder face à face et reculer de deux pas. Puis un groupe d’officiers supérieurs passa entre les deux colonnes et l’un d’entre eux nous compta par dix et abattit à chaque fois le dixième de deux coups de pistolet. Mon ami venu avec moi de l’île de Chypre est mort à ce moment là. »
Des fusillés pour l’exemple, autrement dit ce que l’on appela des « assassinats légaux », il y en eu 650 dans l’armée française, 306 dans l’armée anglaise, plus de 1000 dans l’armée italienne, et un nombre indéterminé de plusieurs centaines pour les volontaires étrangers engagés dans l’armée française. Par contre, il semble qu’il n’y en eu que très peu dans l’armée allemande et pas du tout dans les armées nord-américaines.
La Ligue des Droits de l’Homme, dés 1916, notamment sous l’impulsion de Victor Basch, va s’engager dans la dénonciation de ces exécutions illégales. Elle n’a cessé depuis de demander la réhabilitation des fusillés pour l’exemple.
Certes, la 2éme guerre mondiale, puis la volonté de ne pas nuire à l’image de l’armée française, ont laissé sous le boisseau ce problème pendant des décennies.
Avec la Libre Pensée, l’ARAC puis le Mouvement de la Paix, cette demande de réhabilitation a repris force et vigueur depuis la fin des années 1990.
Nous devons nous mobiliser tous pour faire enfin aboutir cette nécessaire réhabilitation, et ce avant cette date anniversaire de 2014 qui est mise en avant comme repère historique.
Le Royaume Uni en 2005 a promulgué une loi pour, je cite, « effacer les fautes » des 306 fusillés pour l’exemple, et ainsi leur accorder un forme de « pardon ». Un monument a même été érigé dans le Staffordshire en leur mémoire.
Certes, cela montre que les Anglais sont en quelque sorte en avance sur les Français, mais cela montre aussi que leur démarche est bien celle d’une monarchie anglicane dans laquelle le pardon représente une sorte de compassion étendue sous le sceptre royal, avec un arrière fond de reconnaissance divine.
En France, le pardon ne peut être la solution à cette situation car nous sommes en République et seuls les rapports à la légalité et à la justice peuvent être les références.
Comme le dit Christian EYSCHEN « le pardon est monarchiste ; la justice est républicaine ».
Voilà pourquoi la Ligue des Droits de l’Homme demande que les fusillés pour l’exemple soient réhabilités, dans leur droit qu’ils avaient à être jugés équitablement, alors qu’ils ont été abattus froidement dans une forme d’assassinats, considérés comme légaux par les officiers de l’armée française.
La France du 21éme siècle s’honorerait à reconnaître sa faute d’alors plutôt qu’à se voiler la face sur les aspects sombres de son histoire.
La conscience de sa réalité historique ne diminue pas un peuple ou un pays, elle le rend plus grand et plus fort pour faire face à son devenir.
Yrieix FRANCOIS
Président de la section de Tarbes de la Ligue des droits de l’Homme