XVème Rencontre de Martel

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La XVe Rencontre de Martel s’est déroulée le samedi 17 avril 2010 au palais de la Raymondie sur le thème

« Les Droits de l’Enfant : réalité ou illusion ? ».

Comme il est désormais la tradition, un quiz est proposé aux premiers arrivants.

1. L’étymologie du mot « enfant » est
– « celui qui est petit »
– « celui qui ne parle pas »
2. Les Etats qui ont ratifié la CIDE doivent rendre des comptes à la Commission des Droits de l’Enfant : vrai ou faux ?
3. L’école primaire est gratuite et obligatoire partout dans le monde.
4. Le défenseur des enfants est une institution qui n’existe qu’en France : vrai ou faux ?
5. Dans les pays industrialisés, tous les enfants sont enregistrés à la naissance : vrai ou faux ?
6. La liberté d’expression et de participation est un des droits de l’enfant : vrai ou faux ?
7. Les Etats Unis, dont le budget militaire représente la moitié des dépenses militaires mondiales, fournissent la moitié des fonds de l’UNICEF : vrai ou faux ?
8. Aujourd’hui, tout le monde a accès à l’eau potable : vrai ou faux ?

Les solutions sont données à la fin du texte.


Introduction de Marc Foltz

La Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) a été adoptée à l’unanimité par l’ONU en 1989 et ratifiée1 par la grande majorité des nations. Quel bilan peut on faire pour notre pays des vingt ans d’application de ce texte en principe contraignant ?

Force est de constater que, dans de nombreux domaines, nous connaissons en France des évolutions inquiétantes.

  • dans le domaine judiciaire, par exemple la remise en cause des juridictions spécifiques des mineurs
  • dans le domaine policier, par exemple la multiplication d’interventions brutales injustifiables, comme au collège de Marciac
  • vers un fichage généralisé des enfants depuis l’âge de trois ans
  • dans le traitement du handicap
  • ….

Intervention de Guilhem de Colonges, de l’Unicef-Aveyron

Si les droits des enfants apparaissent dans le code d’Hammourabi2 en 1730 avant JC, il faut attendre le code Napoléon pour que ceux-ci reprennent pied devant le droit des adultes vis à vis des enfants3. A la suite du siècle des Lumières, et, au XXème siècle, grâce à des éducateurs, pédiatres, psychologues comme Janusz Korczak, Célestin Freinet, Jean Piaget, Françoise Dolto, …, les droits de l’enfant prennent leur véritable essor. Après la Déclaration de Genève4 en 1924 et la Déclaration des Droits de l’Enfant5 en 1959, est adoptée à l’unanimité de l’ONU en 1989 la Convention Internationale des Droits de l’Enfant6. Ce texte historique affirme dans ses quarante-et-un articles un ensemble de droits – à la santé, à l’éducation, etc – et de libertés – d’expression, de réunion, etc, que les nations qui l’ont ratifié sont tenues d’introduire dans leur propre législation. Deux protocoles complémentaires sont rajoutés en 2000 concernant les enfants-soldats et l’exploitation sexuelle.

Parmi les principes forts qui ont guidé les rédacteurs de la CIDE, on peut noter

  • la non-discrimination, de race, de couleur, …
  • le droit pour les enfants à une vie heureuse et harmonieuse
  • le respect des opinions de l’enfant

On peut également remarquer que ce texte reconnaît des droits spécifiques aux enfants (qui ne sont pas que de petits adultes), ce qu’en France s’attache à faire respecter la défenseure des enfants. Spécificité qui risque d’être gommée si cette fonction est, comme voudrait le faire le gouvernement, fondue dans les attributions d’un « défenseur des droits »7.

Il faut noter qu’il n’y a pas de cour internationale de justice concernant le respect de la CIDE par les nations. Et l’on doit se contenter de l’avis du comité des droits de l’enfant, un ensemble de dix diplomates qui auditionnent à Genève tous les cinq ans l’état de ces droits dans toutes les nations signataires de la CIDE. A noter que dans son dernier rapport concernant la France, cette commission a épinglé des excès dans les dispositions de prévention de la délinquance, les atteintes à la spécificité du droit pénal des enfants, des insuffisances dans l’adaptation de la société au respect des prescriptions de la CIDE, …

En conclusion, que peut on dire sur l’évolution des droits des enfants dans le monde, qu’elle soit imputable ou non à la CIDE ? On peut constater une certaine évolution positive dans quelques domaines comme

  • l’incidence de la malnutrition
  • l’extension de l’éducation
  • la diminution de la mortalité enfantine

Intervention de Pascal Nakache, avocat, président de la section LDH de Toulouse

Qui va limiter son exposé au niveau national, et à l’évolution dans notre pays de la justice pénale des mineurs.

Le texte fondamental est connu comme la circulaire8 du 2 février 1945. Il met clairement sur le papier le résultat d’une lente évolution du traitement particulier des enfants autour de deux idées fondamentales

  • une juridiction spécifique aux enfants : juge des enfants, tribunal pour enfants, cours d’assises des mineurs au lieu de, pour les adultes, des juges (normaux !), tribunal correctionnel, cours d’assises
  • un mode de gestion différente des dossiers. En particulier, l’ouverture d’un dossier d’assistance éducative en parallèle avec le dossier pénal lorsqu’il s’agit d’un enfant.

Ce texte a été réformé plus de 40 fois9 depuis 1945, en particulier depuis 2002. Pour des raisons

  • sociales et institutionnelles : un chômage structurel, le développement de « ghettos » dans les banlieues, la crise économique et sociale, …
  • politiques : le thème de l’insécurité est largement utilisé par le pouvoir, en particulier dans sa déclinaison vis à vis des mineurs (les zones de non-droit dans les banlieues, l’inefficacité, voire le laxisme de la justice des mineurs, des chiffres manipulés – voir le travail de vérité de Laurent Mucchielli10 sur ce sujet -, la pression de certains syndicats de policiers, ETC
  • idéologiques : il faut frapper le plus vite possible et le plus fort possible. En rupture radicale avec la culture de l’excuse sociale, avec l’idée que la délinquance a des bases purement biologiques, qu’il s’agit de détecter et de suivre le plus tôt possible. Voir l’acharnement à imposer le fichier base élèves et l’alignement de lois sur la prévention de la délinquance.

A noter également

  • l’évolution des procédures mises en place pour le traitement des mineurs, par exemple l’instauration d’une retenue policière de 12 heures dès l’âge de dix ans.
  • la banalisation de descentes policières violentes dans des milieux scolaires. Voir en Midi-Pyrénées l’affaire de Marciac11. Sous couvert de prévention, sont déclenchées des opérations qui ressemblent fort à des tentatives d’intimidation, voire de conditionnement de la jeunesse.
  • institution de la présentation immédiate (l’équivalent de la comparution immédiate pour les adultes) qui permet, sous couvert d ‘efficacité, de shunter la phase d’analyse et de réflexion que prévoyait l’ordonnance de 45 pour permettre un traitement mesuré des écarts de conduite juvénile.

Cette détermination de vider l’ordonnance de 45 de sa substance se retrouve dans les propositions de la commission Varinard qui propose entre autres de fixer à 12 ans l’âge de la responsabilité pénale, de remplacer le juge des enfants par le juge des mineurs, moins compassionnel, de créer un tribunal correctionnel spécial pour mineurs. De même dans la loi Perben II complétée dans la circulaire du 13 août 2007, la remise à cause de l’excuse de minorité qui entraînait la division par deux d’une peine lorsqu’appliquée pour un délit donné commis par un mineur, un acharnement à légiférer sur la récidive : alors que le code fixait des peines maximales, la mode est maintenant de définir des peines minimales, une manière de miner le rôle des juges.

On doit également constater un retour radical vers un enfermement des mineurs d’un autre âge. Après les Unités à Encadrement Educatif Renforcé de Toubon, les centres de placement immédiat de Jospin, structures qui étaient encore tournées vers la réinsertion, en particulier par l’éducation, la reprise en main de la jeunesse est maintenant confiée à des Centres Educatifs Fermés et, pire, à des Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM), véritables prisons lieux de contention, sans avenir autre que la récidive ou le suicide12. En un mot, un échec total.

Bref, notre société s’oriente vers le tout-répressif, aveugle et immédiat qui, pour un coût financier13 et moral élevé, nous amène dans l’engrenage infernal de la répression. Alors qu’il faudrait revenir à un traitement spécifique de la justice des mineurs et faire en sorte que, si un hébergement contraignant est nécessaire, celui-ci soit, par l’éducation une préparation à la sortie. Là est le véritable réalisme.

La parole est ensuite donnée à des « témoins engagés », des personnes fortement impliquées dans divers aspects des droits de l’enfant.

Intervention de Franck Fauvel, du CRI4614

La CIDE impose aux Etats d’assurer aux enfants handicapés « une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité », à l’égal des autres enfants. En France, tout existe sur le papier, malheureusement les résultats laissent encore à désirer. Une partie des problèmes provient du fait que l’autisme est relativement mal connu dans notre pays, il n’est souvent abordé que sous l’angle psychiatrique et il est peu enseigné. Raisons suffisantes pour que les droits élémentaires des enfants autistes ne soient pas vraiment respectés. Un diagnostic précoce serait précieux, mais les rares centres capables de le porter sont engorgés, avec des délais d’attente qui l’interdisent de fait. De même, pose problème l’évaluation de la forme particulière du handicap, évaluation qui permettrait une prise en charge adaptée dans une structure adéquate … qui n’existe pas. La scolarisation des enfants dans une école « normale » est depuis peu possible (2005), mais cela demande une formation idoine des enseignants ainsi qu’un nombre suffisant d’auxiliaires de vie scolaire. Mais actuellement trop d’enfants handicapés n’ont accès qu’à des structures comme des instituts médico-éducatifs dans lesquelles l’action éducative est très largement insuffisante alors que celle-ci permet, sinon de soigner, mais de soulager les enfants, et leurs parents.

Solution du quiz

  1. du latin « infans » : « celui qui ne parle pas », en fait qui n’a pas le droit de parler puisque dans la CIDE on est enfant jusqu’à 18 ans
  2. Vrai : tous les 5 ans, les états parties doivent rendre leur rapport. En fait la CIDE a été ratifiée, ce qui implique un engagement juridique (contrairement à une signature qui «n’impose» qu’un engagement moral. Mais en l’absence d’un organisme du type TPI, TPIR, on peut s’interroger sur l’efficacité. La France a été auditionnée à Genève en mai 2009.Voilà un des droits fondamentaux imposés par la ratification de la CIDE qui n’est pas, loin de là, respecté partout. A noter que la « plus grande démocratie du monde » , l’Inde, a annoncé le premier avril 2010 l’entrée en vigueur d’une telle loi. On sait l’importance de l’alphabétisation dans les domaines les plus divers mais pourtant liés comme la réduction du taux de fécondité, de la mortalité infantile, de la pauvreté, de la malnutrition, … et le développement.
  3. Faux. Cette institution existe dans une dizaine de pays. Créé en France en 1980, en fait deux défenseures Claire Brisset et Dominique Versini (nommée sous Chirac). A noter que deux projets de loi examinés en conseil des ministres le 9 septembre envisagent de créer un poste plus générique de Défenseur des droits, qui regroupera les anciennes attributions du Défenseur des enfants, du médiateur de la République et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). La LDH, le Syndicat de la Magistrature, le Syndicat des Avocats de France entre autres organisations de gauche, mais aussi des représentants de la droite comme Dominique Versini s’opposent à ce projet, considérant que ce regroupement rendra moins efficaces les actions que menaient ces organismes.
  4. C’est un peu faux dans les pays industrialisés : 2 %. Mais un enfant sur trois dans le monde n’est pas enregistré. Sans existence légale, difficulté pour l’éducation, les soins médicaux, … : une carte d’identité permet de faire valoir ses droits.
  5. Vrai ! Ce droit est traité dans 5 des 42 articles de la CIDE, il doit comme les autres être porté à la connaissance des enfants par les Etats. A noter le « parlement des enfants » créé en 1994 par Philippe Seguin dans lequel 577 CM2 siègent une journée à l’Assemblée Nationale. Des conseils municipaux d’enfants comme apprentissage de la citoyenneté (l’antithèse des conseils de prévention de la délinquance que voudraient instituer le pouvoir, jusque dans les maternelles : voir le rapport Bénisti).
  6. faux ! En 2008 Inde 300 M$ (millions !), Suisse : 200, Belgique 180, France 150, …USA 18, Bangladesh 14. D’ailleurs les USA n’ont pas ratifié la CIDE car des états pratiquent la peine de mort sur les enfants (mais ils ne les exécutent qu’à leur majorité !)
  7. faux : un enfant sur cinq n’a pas accès à l’eau potable.

Et on oublie le droit des enfants au jeu, à ne pas faire la guerre, alors qu’au moins 300 000 enfants-soldats étaient sur le pied de guerre en 1998, le sida, l’exploitation au travail (passé du domestique au marchand, cf. les tapis noués, les ballons, etc), l’exploitation sexuelle, hélas …!

1cf. la question 2 du Quiz

2Roi de Babylone

3Dans le droit romain, par exemple, l’infanticide n’est pas proscrit, il est ignoré.

4Adoptée par la SDN, voir par exemple http://www.droitsenfant.com/declaration_geneve.htm

5Adoptée par l’ONU, voir par exemple http://www.droitsenfant.com/declaration_droit_enfant.htm

6Voir par exemple globenet.org/enfant/cide.html

7cf. la réponse à la question 4 du Quiz. Voir (note de jcb) le récent micmac au Sénat qui, le 3 juin 2010, en rétablissant la défense des enfants dans les attributions du défenseur des droits, a défait ce qu’il avait fait le 2 juin : la nuit avait porté conseil !

8L’ordonnance n° 45-174, une des ordonnances prises en 1945 par le Gouvernement provisoire de la République française sous la présidence du Général de Gaulle, dans la foulée des idées du Conseil National de la Résistance. Idées honnies par certains éléments au pouvoir actuellement, dans les domaines économique, social, judiciaire, etc.

Voir sur le présent site le compte-rendu de la conférence-débat tenue sur les dérives sécuritaires le 19 novembre dernier à Souillac.

La « version consolidée  au 12 mars 2010 » de ce texte peut être vue sur le site officiel www.legifrance.gouv.fr/. Google permet aussi de retrouver le texte original (note de jcb)

9D’abord pour des ajustements techniques, puis pour une meilleure protection de l’enfance avec un optimum dans les années 70. Les années 90 ensuite n’ont déjà pas été très bonnes…

10Sociologue français, né à Nice en 1968, qui a déjà produit un travail considérable, en particulier sur la délinquance juvénile et … sur l’exploitation qui en est faite par les média et les politiques. A noter également l’ouvrage « la frénésie sécuritaire. Retour à l’ordre et nouveau contrôle social» (qu’il a dirigé, La Découverte 2008) et son site internet www.laurent-mucchielli.org/

11Cette affaire a donné lieu à une enquête d’une commission Citoyens-Justice-Police composée de membres de la LDH, du Syndicat des Avocats de France (SAF) et du Syndicat de la Magistrature.

12Le taux de suicide moyen dans les prisons est 7 fois plus élevé que dans la population « normale », ce taux est 40 fois plus élevé pour les jeunes.

1390 millions d’euros pour un EPM prévu pour 60 mineurs

14Choix Rationnel d’Intégration 46, association de familles lotoises touchées par le handicap, essentiellement l’autisme, dont le but principal est de « favoriser l’intégration sociale et la scolarisation des enfants ». cri46@wanadoo.fr

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